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L’Exode

Texte de Mme Colette JEROME relatant les évènements vécus en Juin 1940 par une petite fille de 5ans.

«  C’est certain, il se passait des choses bizarres : conversations incompréhensibles. »

8 Juin 1940- Conciliabule avec un Colonel, isolé à Doue avec un groupe de soldats.La question était : (posée par un ancien poilu de 14/18) y aura-t-il ou non bataille sur la Marne ?Non, c’est impossible, nous sommes sans nouvelles de notre commandement, c’est la débâcle…..Il est inutile de fuir sur les routes…..

9 Juin 1940– Arrivée devant la grille de deux charrettes tirées chacune par deux chevaux et avec deux vaches attachées à l’arrière, une autre charrette tirée par deux chevaux et une voiture à la taille de l’âne qui y était attelé.L’automobile venait aussi de sortir du garage. Les adultes sont contradictoires, j’avais pourtant bien entendu pas de départ sur les routes…Le convoi était déjà formé. Et voilà que je suis priée de quitter la maison.Le chat est sorti, les lapins sont lâchés et broutent dans un massif de corbeille d’argent couronné de sauges. Vous êtes fous, dis-je à mes parents. Réponse : c’est la guerre. Qu’est- ce que c’est la guerre ? Nous t’expliquerons plus tard, j’attends toujours ….j’ai dû apprendre par moi-même au fil des jours. La porte déjà fermée, je n’avais même pas mon ours. Cette fois, je devais manifester bruyamment, c’était le seul à me comprendre et à qui je pouvais me confier….Permission accordée . C’est le grand départ, l’automobile doit rouler devant afin de prépare le campement du soir et faire la liaison entre tous en cas de séparation.

Première étape :CHAILLY –en- BRIE– Je connaissais, c’est là qu’habitait une arrière grand’mère, maintenant en maison de retraite, puis ce fut l’inconnu….. ???????

MONTEREAU-Pont du chemin de fer bombardé, les rails pendaient par un trou béant au- dessus de la route. Nous étions maintenant obligatoirement en colonne et devions nous arrêter. Il fallait dégager des vaches mortes gisant sur la route et qui avaient triplé de volume à cause de la chaleur.?????Un arrêt, cette fois c’est le convoi qui est mitraillé, les avions italiens prennent les voitures et les réfugiés tapis dans le fossé, en enfilade. Je commence à comprendre à quoi ressemble une guerre.

Quelques mètres devant nous, un homme lève les bras en criant » ils ont tué ma fille ». cet homme était connu de mes parents, il habitait St Germain. L’aide s’organisa pour transporter le corps en lieu sûr.Il y avait paraît-il un lien avec ce mitraillage : des soldats français en civil se mêleraient aux réfugiés ?…

????Au fur et à mesure que nous progressions, les boutiques se fermaient ou étaient en cours de pillage, un autre phénomène d’un exode…..Les dernières boulangeries utilisaient jusqu’au dernier kg de farine puis fermaient elles aussi.

????Moment tragique dans une petite ville, le sang coulait, il y avait eu des fusillés. Plus loin, une mère gardait son enfant mort dans ses bras : aide…mouchoir sur les yeux et évacuation rapide des lieux pour moi…..

GIENS-

Nous arrivons près de GIENS, stationnement de la voiture dans la périphérie de la ville. Pas de nouvelles des nôtres, c’est embouteillé, mon père part à leur recherche. Il est question de faire sauter une partie du pont sur la LOIRE( par le Génie pour retarder l’ennemi), il faut absolument passer avant ;Une bombe soufflante fait voler les débris d’un pilier ornemental d’une villa, sur le trottoir, ma mère me plaque au sol, bilan : une dent de lait cassée.Toutes nos voitures ont passé le pont, la dernière avec une corne cassée, il était temps…il y a des victimes.????

Nous progressons encore un peu mais cette fois, nous rencontrons un important convoi allemand….c’est terminé, nous sommes envahis, il faut rentrer . ( Paris avait capitulé le 14 Juin). Retour décidé.????

Nous apprenons que M.PAYEN n’a pas pu regagner sa voiture à temps, la colonne devant avancer sur les ordres de l’armée qui contrôle la circulation vigoureusement.???? Robert doit connaître ce problème, jusqu’au retour au Plessier.Plus de souvenirs marquants sur le chemin du retour à la maison.

DOUE-( peut-être le19 juin)

Première vision : voiture allemande calcinée contre le marronnier de la place .Arrivée devant la maison : portes de garage arrachées. Porte de maison également. Un service de table est pilé au pied de l’escalier .A l’intérieur : pillage- Dans les armoires, les tripailles des lapins avec asticots remplacent ce qui a été emporté.Nous passons chez grand’mère, des chaises ont servi de bois pour la cuisinière. Tous les matelas sont partis( pas pour longtemps). Dans la cour à côté, une charrette ( de réfugiés de l’Aisne) avec cinq matelas superposés, s’apprête à démarrer.

Reconnaissance de ce qui nous appartient et restitution.

Le village est encore pratiquement désert. Dès le lendemain, quelques arrivants supplémentaires. Il faut s’organiser pour la réouverture de la boulangerie-coopérative et débiter de la viande dans un atelier en attendant le retour des commerçants.

POUR MEMOIRE- Anecdote de Novembre1951-

Deux hommes( père et fils) s’immobilisent devant la maison.

Nous sommes justement, Mme Facy, ma mère et moi, derrière une fenêtre, en train de coudre. Je crois reconnaître le Colonel à qui nous avions confié les clés avant de partir.Comment peux-tu te souvenir de lui répond ma mère, tu étais si jeune. Arrivent mon père et les deux hommes. Après les salutations d’usage, l’ancien militaire me demande : Melle, avez-vous retrouvé vos Cailloux de Chamonix( bonbons des années30), j’avais interdit à mes hommes d’y toucher. Réponse affirmative, il paraissait content de lui mais pas autant que moi qui avait pu le reconnaître et d’un coup voyait que les images rapportées de tout ce périple de petite fille, étaient bien réelles, elles aussi.